Addendum
Les réflexions des Mutuelles de France se sont poursuivies sur l’année 2021-2022 et nous ont conduites à ajouter des propositions.
Protection sociale et solidarité
L’ensemble des dernières réformes sur les retraites ont fait peser l’effort sur les travailleurs et non sur les entreprises et le capital. Compte-tenu des inégalités sociales de santé et des écarts d’espérance de vie et d’espérance de vie en bonne santé qu’elles génèrent, elles touchent, de fait, plus durement les populations les plus précaires et les plus pauvres et accroissent les inégalités de genre. L’allongement de la durée de cotisations, le report de l’âge légal et la non revalorisation des pensions ont aggravé la pauvreté d’une grande partie des seniors. La réforme qui s’esquisse ne
fait pas exception : reculer l’âge de la retraite est un objectif guidé par des considérations financières mais qui aura des conséquences défavorables sur le montant des pensions et négatives sur la santé et le bien-être.
Permettre une retraite digne et en bonne santé.
La question de l’usure au travail et de la pénibilité au travail devra être traitée à la fois tout au long de la carrière professionnelle et pris en compte au moment de la retraite. Dans un pays de plus en plus riche, davantage de ressources doivent être mobilisées, socialisées, donc mises en commun au sein de la Sécurité sociale. Cela doit
garantir aux seniors de profiter de leur retraite en bonne santé le plus longtemps possible, avec un bon niveau de vie et contribuer à la réduction des inégalités sociales d’espérance de vie. L’effectivité de cette promesse est aussi une condition de l’adhésion des plus jeunes générations au modèle solidaire.
La France compte aujourd’hui 15 millions de personnes âgées de 60 ans et plus. Elles seront 20 millions dans 10 ans et près de 24 millions en 2060. Parmi elles, aujourd’hui 1,5 million sont en perte d’autonomie . Plus de 4 millions de personnes (62% de femmes) aident régulièrement un proche dont près de 3 millions, quotidiennement. En 2021, seules 15 000 personnes ont bénéficié des dispositifs gouvernementaux de soutien aux aidants , comme le « congé proche aidant » ou l’« allocation journalière du proche aidant » (AJPA, soit 0,5% des bénéficiaires potentiels) dont le montant est indigent. L’ensemble de ces mesures reste largement en-deçà de la reconnaissance de l’investissement des aidants et ne saurait tenir lieu de politique de l’aide à la personne. L’aide familiale est souvent contrainte, soit par la situation financière de la personne aidée ou de ses proches aidants, soit par l’absence de structure d’appuis ou de professionnels de l’aide à domicile à proximité. Ces missions d’aide, pratiquées par des professionnels ou des aidants familiaux ont des implications sur la santé, singulièrement en santé psychique et physique pour les aidants familiaux.
Ces métiers, peu valorisés et mal rétribués, sont peu attractifs et en pénurie de candidats. C’est pourquoi il faut enfin fonder une véritable politique d’aide à la personne.
Fonder une véritable politique d’aide à la personne.
Cette politique passe par la construction d’une filière professionnelle de l’aide à la personne, permettant le recours à la formation initiale et une évolution de carrière. La reconnaissance des compétences et des contraintes spécifiques liées à l’activité (horaires, déplacement, pénibilité…) justifie une revalorisation des rémunérations. Ceci afin de permettre à toutes les personnes en perte d’autonomie, de bénéficier de l’aide dont elles ont besoin, apportée par un professionnel.
Pour les aidants familiaux, qui peuvent faire le choix d’intervenir en appui des professionnels, il faut :
• Revaloriser le montant de l’AJPA et garantir que le recours à ce dispositif n’aura pas d’implication sur la pension de retraite de la personne aidante.
• Développer les structures d’aides, de formation, de conseil et de répit et veiller en particulier à leur accompagnement psychologique.
• Communiquer plus largement sur les dispositifs d’accompagnement et en simplifier l’accès.
• Reconnaître et valoriser la place des aidants dans la société afin de rendre légitime le recours aux dispositifs publics de soutien, sous-utilisés.
• Former le personnel médico-social et sanitaire aux diverses questions d’accompagnement et de prise en compte des proches aidants.
Ces mesures constitueraient un premier pas pour faire de l’aide à la personne une activité professionnelle valorisée et de l’aide familiale un choix effectif et non contraint.
Renforcer l’approche pluriprofessionnelle pour améliorer la prise en charge des populations
Développer le partage des tâches et de compétences entre professionnels de santé
Cela doit permettre de repenser l’approche de la santé en vue d’améliorer la qualité de la prise en charge des patients. Cela passe par la connaissance, entre elles, des professions médicales et paramédicales quant à leurs parcours de formation, leurs pratiques et champs d’intervention : médecins généralistes, infirmier.es, sage-femmes, pharmacien.nes, dentistes, ophtalmologues… tous sont concernés. Plus qu’une autorisation à pratiquer des actes dans une logique de délégation, le partage de tâches conduit à considérer les compétences qui peuvent être partagées et/ou complémentaires, pour accompagner les patients dans un parcours global de santé. Dans cette perspective, la juste rémunération de chacun des acteurs devra être garantie. Le partage de tâches et de compétences doit être plus ambitieux qu’aujourd’hui, tout en maintenant un cadre maîtrisé et pleinement sécurisé pour les patients comme pour les professionnels. Cette démarche doit s’opérer sur la base des expérimentations concluantes pour les patients (Infirmier.e en Pratique Avancée, Asalée…). Le temps ainsi gagné sera d’abord utilisé en coordination entre les professionnels mais, à terme, libérera du temps de diagnostic pour les médecins. In fine, pour les patients, le partage des tâches permet le bon soin au bon moment par le professionnel de santé compétent.
Pour améliorer l’accès effectif aux soins, de nouveaux métiers doivent se développer pour réduire les inégalités socio-culturelles : médiateur en santé, préventeur, … Une fois les soins engagés, il faut réduire les écarts liés aux capacités sociales, culturelles et économiques par un meilleur accompagnement des patients : coordinateur de parcours de soins / gestionnaire de cas. La Sécurité sociale doit innover et, à l’instar de l’ensemble des soins, assurer prioritairement cette prise en charge.
Investir dans la médecine du travail
Le monde du travail ne doit pas créer un contexte qui aggrave l’état de santé mais au contraire contribuer à la promouvoir. Aujourd’hui, il engendre de nouvelles formes de risques santé (télétravail, risques psychosociaux…). Les dernières réformes ont fortement fragilisé la médecine du travail et limité encore son indépendance à l’égard de l’employeur.
Conforter la médecine du travail et garantir son financement et son indépendance.
Il faut s’engager dans une prise en charge globale des risques du travail : environnement, matériel, matières premières, postures, management, psycho-sociaux… Toutes les parties prenantes doivent être impliquées et les financements dédiés être à la hauteur des besoins. Pour cela, il faut renforcer la médecine du travail qui se doit d’être indépendante et la doter d’un financement garanti afin qu’elle puisse jouer son rôle de façon efficiente. Les CSE et les Commissions Santé Sécurité et Conditions de Travail dont les moyens doivent aussi être renforcés participeront avec elle, mais aussi avec syndicats, employeurs à définir les lignes d’une médecine du travail du 21e siècle. Les mutuelles pourront être sollicitées pour leur expertise santé et investir une fonction de tiers de confiance pour les différentes parties afin par exemple de développer des actions de prévention.
La santé mentale, un enjeu de santé publique
La santé mentale est un enjeu de santé publique pour le bien-être individuel et collectif. Si elle représente le premier poste de dépenses de l’Assurance Maladie en termes de pathologie, elle demeure le parent pauvre du système de santé à la fois sur le financement et l’approche médicale trop centrée sur le curatif. Davantage de place doit être faite à la prévention. Un travail considérable doit être mené pour une meilleure coordination des soins en santé mentale entre la ville et les établissements. Cela doit aussi passer par le développement d’une culture de santé mentale qui permettra de mieux former les professionnels et de sensibiliser les populations.
Il faut donc augmenter les moyens accordés à la santé mentale,
afin d’en changer l’approche pour améliorer la qualité de prise en charge. Pour ce faire, des investissements massifs dans les établissements spécialisés sont également nécessaires ; cela permettra aussi d’améliorer les conditions de travail des professionnels de santé.
Un grand nombre de personnes est touché par des troubles psychiques. La pandémie a mis en lumière ces fragilités auxquelles beaucoup font face et augmenté le besoin de consulter un psychologue. La mise en place des dispositifs « Mon Psy » et « Psychologues en centres de santé » sont perfectibles mais vont néanmoins dans le sens d’une meilleure prise en charge par l’assurance maladie et les complémentaires santé. Celle-ci doit s’accompagner d’un renforcement de la réglementation et de la déontologie pour protéger les patients et les professionnels, salariés et libéraux.
Mieux encadrer les pratiques professionnelles pour améliorer la prise en charge
est une condition à l’amélioration de la prise en charge, prioritairement via la Sécurité sociale. Cela passe notamment par la règlementation du code de déontologie (intégration au sein des projets psychologiques des établissements, conventions collectives ou contrats). De plus, nous proposons la création d’une nouvelle catégorie de professionnels de santé inscrite au code de santé publique concernant les professions de soins psychiques : les psychologues-psychothérapeutes, les psychanalystes. La création d’une nouvelle catégorie contribuera à une nouvelle approche des soins prenant en compte l’ensemble de la diversité des professionnels contribuant au rétablissement des personnes concernées.
Spécialisation du risque santé
Crise de l’hôpital public avec la T2A, impact dévastateur du modèle assuranciel dans le domaine des complémentaires santé… Ces quelques exemples démontrent que l’intervention des entreprises à but lucratif ou l’importation du modèle marchand et concurrentiel dans le secteur de la santé a pour effet de nuire à l’accessibilité à la santé pour toutes et tous. L’objectif de rentabilité est incompatible avec celui de la santé. De nombreux domaines de la vie quotidienne bénéficient de politiques publiques d’exception visant à les protéger de la concurrence ou à garantir leur accessibilité (exception culturelle, TVA différenciée pour les produits de première nécessité…).
Dans le même état d’esprit, la santé, sujet vital, doit être soustraite aux logiques marchandes. Sur la complémentaire santé en particulier, le modèle assurantiel est « contagieux » et dangereux. Il a pour caractéristique principale de tendre à l’individualisation des risques pour les faire financer à chacun plutôt que de les mutualiser entre tous. C’est un modèle antisolidaire, incompatible avec le droit à la santé pour tous et les enjeux de santé publique. Cela a pour effet d’empêcher le modèle de cotisations solidaires promu historiquement par les mutuelles et, pour les assureurs, d’inciter à la sélection des « bons » risques (rentables).
De surcroît, l’application de mêmes normes aux mutuelles et des assurances ne permet pas de prendre en compte les spécificités des mutuelles et, singulièrement, leur but non lucratif et le réinvestissement des excédents au service de tous. Les normes prudentielles et comptables conçues sur la base des activités d’assurances a mis en concurrence des organismes de natures différentes. Les obligations ne sont pas en cohérence avec le risque couvert et oblige les mutuelles à immobiliser des réserves financières en complémentaire santé trop importantes. Le plan comptable des assurances est également appliqué aux mutuelles. Ainsi, la prévention, l’accompagnement à l’accès aux droits et aux soins… sont considérés comme des « frais de gestion » au même titre que les campagnes marketing des assurances.
Mettre en œuvre la spécialisation du risque santé.
Le « risque » santé ne doit pas être soumis à des pratiques marchandes et doit bénéficier d’une politique publique d’exception visant à reconnaître la spécialisation du risque santé. Dans le domaine de la protection sociale, cela doit se traduire par l’établissement de normes prudentielles spécifiques et adaptées au domaine de la complémentaire santé, risque de court-terme (contrairement à la prévoyance, l’invalidité, le décès par exemple).
Adapter la fiscalité aux activités de première nécessité et à but non lucratif
Par sa nature, l’activité en santé doit relever du secteur non lucratif et bénéficier d’une fiscalité adaptée : TVA réduite alignée sur les produits de première nécessité, suppression des taxes sur les cotisations mutualistes, etc.
La donnée de santé, un enjeu démocratique
Les données de santé sont définies comme des données relatives à la santé physique ou mentale, passées ou présentes, des personnes (examens, ordonnances, nomenclature d’actes de soins…). Elles contribuent à la prévention, au diagnostic et au soin et permettent aussi une prise en charge plus efficace de nos dépenses de santé par la Sécurité sociale et les organismes complémentaires. Prises globalement et anonymisées, elles fournissent des informations particulièrement utiles à la recherche médicale et scientifique. Ces données touchent à l’intimité et aux droits de chacun et elles ne doivent pas être détournées d’un objectif de santé publique. Leur fabrication, stockage et usage doivent donc être sécurisés et formalisés afin de protéger les citoyens.
Garantir l’usage des données de santé au bénéfice de la santé de tous.
Chacun doit pouvoir déterminer l’utilisation de ses données de santé. Hébergées sur des plateformes françaises ou européennes, soumises à une législation protectrice, les données de santé de la population doivent être protégées des utilisations à but lucratif, des mésusages commerciaux potentiellement discriminatoires ou des risques de vol. A ce titre, les pouvoirs publics devront soutenir techniquement et financièrement l’ensemble des acteurs de la santé intervenant sur les données de santé (hôpitaux, professionnels de santé, etc.) et l’ensemble des acteurs de santé souhaitant accéder à ces données pour améliorer la prise en charge des personnes.