Construire une protection sociale universelle
Les situations de crise, a fortiori sanitaires, révèlent le besoin d’une société solidaire – pour répondre collectivement aux besoins de chacun. Elles révèlent aussi les limites de notre modèle social tel qu’il subsiste, après les politiques d’austérité et de marchandisation qui n’ont cessé de s’amplifier depuis le début des années 1980. Les logiques à l’œuvre ont fait reculer la prise en charge collective. Elles ont fragmenté les réponses jusqu’ici universelles et font régresser la société de la solidarité vers une société de charité. Dans leurs sillages, elles ont également fait reculer le droit du travail.
Révélatrice, la crise est aussi accélératrice des inégalités de toutes sortes, sociales et territoriales, révélant, aux yeux du plus grand nombre, que l’universalité est loin d’être acquise. C’est toute une population « invisible » qui s’est retrouvée sans ressource : des personnes précaires avec de petits boulots, souvent dans l’économie informelle, qui survivaient sans être connues des services sociaux, des travailleurs indépendants, des étudiants… Ces personnes se retrouvent aujourd’hui dans les files d’attente des secours alimentaires, devant les associations et les services sociaux des mairies.
Les inégalités en santé se sont aggravées. Par exemple, la Covid touche plus les quartiers populaires. Le système de santé affaibli par des années de pénurie, et mal organisé, peine à répondre aux besoins hors Covid.
Face à cela, nous défendons une protection sociale universelle de haut niveau, financée de façon juste et pérenne pour répondre à l’ensemble des besoins. L’enjeu, c’est la répartition des richesses en faveur du bien commun afin de réduire les inégalités et de permettre à chacun de vivre dignement.
Une sécurité sociale de haut-niveau
La réduction des dépenses de la Sécurité sociale depuis 30 ans a contraint le niveau de ses prises en charge. Elle a contribué à ne pas prendre en compte la dimension préventive et a dégradé l’accès aux soins en augmentant le reste à charge sur les soins de ville comme à l’hôpital (forfait hospitalier, …). Cela est d’autant plus problématique que les dépassements d’honoraires et les franchises se sont développés au détriment des tarifs opposables, déterminés en commun et connus de tous.
Améliorer le niveau de prise en charge par la Sécurité sociale. La socialisation des risques de la vie au plus haut degré possible, par une solidarité nationale effective est une réponse non seulement juste mais aussi efficace. La crise de la COVID-19 l’a montré : en période de tempête, c’est toute la population qui doit prendre en charge le risque pour protéger chacun de ses membres. Reste que la promotion du modèle solidaire de Sécurité sociale réclame une mobilisation redoublée. Les mutuelles de France entendent y prendre inlassablement leurs parts.
Au-delà du handicap, le reste à charge des familles en matière de perte d’autonomie liée à l’âge est aujourd’hui de 6 milliards d’euros. Il est prévu le triplement du nombre de personnes de plus de 85 ans d’ici 2050. Cela exige que soit mis en place dès maintenant une réponse solidaire et ambitieuse. À l’heure actuelle, la qualité de la prise en charge n’est pas digne d’une société moderne.
Renforcer le périmètre de la Sécurité sociale en prenant en charge la perte d’autonomie qu’elle soit liée au handicap ou à l’âge. Inassurable individuellement compte-tenu de l’ampleur du risque, seule la solidarité nationale est en capacité de le prendre en charge.
L’ONDAM (Objectif national des dépenses de l’Assurance maladie) fixe un plafond de dépenses pour l’Assurance Maladie. Or depuis 1997, le Parlement vote chaque année une Loi de financement de la Sécurité sociale qui limite la prise en charge solidaire des dépenses de santé, faute de recettes suffisantes. La progression de l’ONDAM est moins importante que la progression mécanique des besoins liée à l’accroissement de la population, au développement des maladies chroniques, au vieillissement ou encore au déploiement de technologies coûteuses. Dans les faits, il justifie l’abaissement des niveaux de remboursement des médicaments, les franchises médicales et les coupes budgétaires dans les hôpitaux publics. Ce pilotage par la pénurie renforce les inégalités : celles et ceux qui ne peuvent pas payer davantage doivent se contenter d’un service public paupérisé.
Augmenter à hauteur des besoins l’ONDAM. Il s’agit de permettre la prise en compte des évolutions démographiques et des besoins croissants en matière de santé dans une société marquée par un vieillissement croissant, le développement de maladies chroniques et de traitements plus avancés.
Depuis bientôt un demi-siècle, la majorité légale est fixée à 18 ans en France. Pourtant, le RSA, un droit social minimal, n’est accessible qu’à partir de 25 ans. Fin 2020, 1 jeune sur 4 est au chômage, mais le chômage n’est indemnisé que si on a travaillé 4 mois dans l’année écoulée. Une période de chômage préalable au premier emploi laisse donc sans ressource. De nombreux jeunes doivent travailler pour financer leur subsistance. La plupart de ces emplois à temps partiel ont été supprimés en conséquence des mesures sanitaires liées à la Covid-19. La crise pandémique laisse de nombreux jeunes sans autre ressource qu’un hypothétique soutien familial et contradictoire avec son autonomie. C’est pourquoi il revient à la solidarité nationale de s’ouvrir à la jeunesse. La France est d’ailleurs un des derniers pays d’Europe à interdire l’accès des jeunes aux minima sociaux.
Ouvrir immédiatement le droit au RSA à partir de 18 ans. Cela répondra à l’urgence sociale qu’impose la crise économique et sociale née de la pandémie. Plus avant, cela doit préfigurer d’une autonomie effective de la jeunesse dans ses choix d’orientations, décorrélée des déterminants sociaux. C’est enfin la démonstration de la solidarité nationale, un facteur favorisant l’adhésion des jeunes générations à la démarche de mise en Sécurité sociale. Cette première mesure d’urgence s’impose mais ne résout pas la question de l’autonomie de la jeunesse.
La crise de la Covid-19 a particulièrement mis en lumière les conséquences de l’exclusion de notre système de protection sociale pour certaines populations, en raison des reculs dans l’universalité des droits.
Garantir des droits pour tous en donnant accès à toute la population à une protection sociale de haut niveau. Quelle que soit la situation socio-économique, l’état de santé ou le statut de la personne, la santé est un droit pour toutes et tous, reconnu par notre constitution et les traités internationaux. La solidarité doit reposer sur des dispositifs universels et pérennes dans le temps, propres à garantir le plus haut niveau de solidarité pour faire face aux risques de la vie.
Pour un financement de la Sécurité sociale plus juste et solidaire
Le financement de la Sécurité sociale est de plus en plus injuste. Il ne se base plus sur la totalité des richesses produites tandis que les exonérations de cotisations sociales patronales se multiplient. Ce faisant, ce sont les ménages qui supportent une part croissante du financement de la Sécurité sociale.
Élargir l’assiette des cotisations sociales à l’ensemble des richesses produites. Les Mutuelles de France demandent de faire contribuer toute la plus-value des entreprises par voie de cotisations. Ce sont ainsi près de 750 Mds d’euros supplémentaires qui entreraient dans l'assiette et pourraient ainsi contribuer à la prise en charge collective des besoins et développer de nouvelles solidarités. La mise à contribution des revenus du capital des entreprises serait une évolution permettant de prendre en compte la financiarisation de l’économie.
La politique de l’emploi repose fortement sur les exonérations de cotisations sociales décidées par l’État pour réduire « le coût du travail ». Ainsi privée de recettes, la Sécurité sociale s’est trouvée en déficit chronique. Ces déficits ont ensuite permis aux gouvernements successifs de justifier la réduction des remboursements de soins et l’investissement moindre dans le système de santé. Le budget de la Sécurité sociale est ainsi devenu une variable d’ajustement, pour les gouvernements successifs, du financement les politiques libérales de l’État.
Stopper les exonérations de cotisations sociales et rétablir le principe de compensation intégrale par l’État du coût des exonérations existantes pour le budget de la Sécurité sociale. Dans l’immédiat, l’État doit compenser, à l’euro près, le manque à gagner de la Sécurité sociale, obligation dont le gouvernement s’est exonéré pleinement depuis 2019.
Au fil des années, le budget de la Sécurité sociale et celui de l’État ont été rendus de moins en moins étanches. Cette confusion fragilise dangereusement la pérennité de notre système de protection sociale et de santé dès lors qu’elle en fait une variable d’ajustement du budget de l’État
Sanctuariser le budget de la Sécurité sociale. De cette seule manière peuvent être garanties les recettes du budget de la Sécurité sociale.
La CSG est doublement injuste : elle pèse majoritairement sur les revenus des ménages en exonérant les entreprises. Non progressive, elle pénalise davantage les foyers les plus modestes.
Réformer la CSG pour en faire une cotisation progressive en fonction des revenus et plus équilibrée entre les revenus du travail et ceux du capital. Afin de rétablir de la justice, il convient, d’une part, d’élargir son assiette afin de faire contribuer les revenus du capital des entreprises et, d’autre part, d’introduire une progressivité sur les taux de contribution. Dans cette optique, les Mutuelles de France demandent que la CSG soit définitivement considérée comme une cotisation.
L’égalité salariale affirmée dans la loi n’est pas effective. L’écart de rémunération moyen à temps de travail égal se situe à -17% en défaveur des femmes. Plus les salaires sont élevés, plus cet écart se creuse (+7 points sur les 5% les mieux rémunérés[1]). En outre, le temps partiel est largement subi. Ces deux facteurs ont des impacts sur les choix de vie des couples et réduisent durablement les montants alloués aux salaires socialisés (maladie, chômage, retraite…).
Mettre en œuvre une réelle égalité salariale entre les femmes et les hommes. C’est d’abord une mesure de justice. Le rythme de l’amélioration est trop lent. Au-delà, cette mesure aurait pour conséquence un accroissement du pouvoir d’achat, par l’augmentation des rémunérations directes à hauteur de 33 Mds€. C’est aussi un levier important pour financer la protection sociale. La seule égalité salariale effective entre femmes et hommes représenterait une ressource supplémentaire pour la Sécurité sociale de près de 30 Mds d'€.
[1] Observatoire des inégalités, mars 2019.
Sur le plan fiscal, nous devons tirer les leçons des échecs passés : un pan entier de l’économie continue d’échapper à ses devoirs par l’évasion et l’optimisation fiscale, dont le but avoué est de ne pas participer à l’impôt, de ne pas contribuer au bien commun. C’est une révolution politique et une évolution culturelle que de dévaloriser cette « sécession » pour les plus riches, d’échapper à l’impôt.
Réformer la politique fiscale en faveur du bien commun. La priorité́ serait d’aller chercher l’argent là où il est, de taxer de manière plus importante les revenus qui ne sont pas issus du travail, et de mettre fin, par la loi, à ce capitalisme financier. Rétablir l’ISF constituerait un premier signe de cet engagement mais ne saurait le résumer.
Une mutuelle pour chacun.e
La multiplication et la superposition des dispositifs en complémentaire santé segmentent les populations, affaiblissent la solidarité et génèrent du renoncement au droit. Le système actuel d’aides publiques pour l’accès à une complémentaire santé est injuste car principalement concentré sur les contrats collectifs obligatoires du secteur privé et, dans une moindre mesure pour les plus précaires. Une large part de la population n’y a pas accès. Il est également inefficace dès lors que 3 millions de personnes sont toujours sans mutuelle, selon la DREES.
Refondre les actuelles aides publiques à l’accès à une complémentaire santé dans un dispositif unique, progressif selon les revenus. Il faut une totale remise à plat pour s’orienter vers un système d’aide unique, universelle et progressive selon les revenus, déconnectée du statut de la personne. Cela se substituerait à la logique de segmentations et d'exclusions aujourd'hui à l'œuvre.
Inexistante il y a moins de 15 ans, les taxes sur les complémentaires santé ont augmenté progressivement jusqu’à atteindre 17% avec la taxe COVID en 2020. C’est maintenant l’équivalent de 2 mois de cotisations qui font l’objet d’un reversement direct à l’État. Ce faisant, il rend les organismes de protection sociale collecteur d’impôt et, pour un peu, responsables des hausses tarifaires qui en découlent. En outre, cela participe d’une assimilation de la couverture santé à une marchandise, logique que les Mutuelles de France condamnent.
Supprimer les taxes sur les cotisations mutualistes pour restituer aux mutuelles des marges de redistribution. Redistribuant systématiquement les excédents réalisés, les mutuelles pourraient ainsi développer la prise en charge, notamment dans des domaines comme la prévention, les soins psychologiques ou encore l’offre de premier recours. Structurellement, cette mesure rendrait plus abordable l’accès à une mutuelle.
Plus d'informations sur le sujet : https://pas-de-taxe-sur-ma-sante.fr/